Tribune Grande Conso n°27
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SECONDE EDITION DU GUIDE “SAVOIR MANGER”
Savoir s’en passer…
“Savoir Manger” est un best-seller annoncé. Pour qui cherche une véritable étude étayée sur marques nationales, MDD et premier prix (comme le laissent entendre les auteurs dans leur promo), ce sera une déception.
Difficile d’échapper à la promo tout terrain des nouveaux gourous de l’alimentation, Jean-Michel Cohen et Patrick Serog, auteur de la seconde édition du guide Savoir Manger (1). Papiers en rafale dans la presse régionale, “dossiers” dans la presse magazine (notamment une pleine couverture de Stratégies), sujets dans les “JT”, etc. Rien à dire sur le plan média. En “bons pros” de la com’, Cohen et Serog ont aussi su réduire le message juste ce qu’il faut pour le rendre parfaitement compréhensible par le quidam. Schématiquement : “moins c’est cher, moins c’est bon”. C’est court, c’est simple, c’est efficace. Rajoutez un doigt de démagogie (ou d’utopie) et voilà les auteurs qui s’enflamment : “Accepter qu’un produit vendu moins cher, coûtant donc moins cher à fabriquer, soit d’une moins bonne valeur nutritionnelle relève de l’inadmissible”. Peut-être. Mais ce n’est hélas que la triste réalité de la consommation. Comparée à l’immobilier, à l’automobile ou aux loisirs, l’alimentation n’est en rien une exception.
Les meilleurs amis des marques…
Reste que l’accroche médiatique utilisée pour la promo, “moins cher = moins bon”, n’est pas démontrée avec grande rigueur tout au long des quelque 970 pages de l’ouvrage. Certes, le duel marques nationales vs premiers prix tourne clairement à l’avantage des marques. Certes, l’utilisation de “peau de poulet” dans des nuggets, de matières grasses hydrogénées dans les plats élaborés ou de suif dans la margarine n’est pas à l’honneur des premiers prix. Pour autant, suffit-il de stigmatiser les produits d’entrée de gamme pour proclamer, urbi et orbi, la supériorité des marques ? C’est oublier un peu vite la couche intermédiaire du mille-feuilles des assortiments : les marques de distributeurs, trop rarement étudiées dans l’ouvrage (alors que leur place en rayon ne cesse de croître). Et quand tel est le cas, la volonté manifeste des auteurs de sacraliser les grandes marques leur fait perdre cet esprit critique, parfois si corrosif quand il s’agit des premiers prix. Exemple sur les glaces (p. 826). La référence Carrefour est jugée inférieure à La Laitière de Nestlé, en dépit de sa richesse en crème fraîche (24 % vs 22 %). Car l’analyse porte en fait sur l’ordre d’apparition des ingrédients sur l’emballage: de la crème pour La Laitière, de l’eau pour Carrefour. Et pour cause… Nestlé utilise du lait écrémé en poudre réhydraté tandis que Carrefour utilise d’un côté du lait écrémé concentré et, de l’autre, de l’eau. A ce stade, pas de différence. L’eau est (heureusement) aussi présente chez Nestlé, mais utilisée préalablement à l’incorporation finale. Un peu court pour établir une véritable supériorité !
Telle est la grande déception de l’ouvrage. Les auteurs démontrent en effet assez clairement la médiocrité des premiers prix. En revanche, ils n’étayent pas vraiment la supériorité des marques sur les MDD. Un sujet pourtant bigrement alléchant. Aussi si vous attendiez de “Savoir Manger” la véritable étude impartiale – qui plus est non partielle – sur les qualités respectives des marques, des premiers prix mais également des MDD, alors… sachez vous en passer. Malgré l’intense promo !
D’autant que l’intime connaissance du monde alimentaire que les auteurs revendiquent est mise à mal au fil des pages. Ainsi, Cohen et Serog évoquent-ils “les pizzas sous-vide, produit phare du rayon sous-vide”. Sans doute pensaient-ils aux pizzas fraîches, stars du rayon traiteur libre-service. Une nuance sémantique, certes, mais qui traduit une certaine approximation dans la connaissance des produits. Ainsi, Cohen et Serog évoquent-ils “La Gauloise” comme signature d’un cordon bleu de volaille. Sans doute pensaient-ils à “Le Gaulois”. Ainsi, au rayon pain de mie, Cohen et Serog évoquent-ils “Harri’s”, pensant probablement à “Harry’s” (et non à la marque d’allume-feu). Ainsi quand ils se penchent sur la catégorie yaourts aux fruits, Cohen et Serog en oublient de comparer le véritable critère discriminant : la teneur en fruits, etc.
Pour le volet nutrition
En revanche, les deux nutritionnistes sont incollables sur… la nutrition. Normal c’est leur métier ! Et là est d’ailleurs le principal mérite de l’ouvrage. Dans le rappel des règles élémentaires de nutrition; dans la sensibilisation du consommateur sur l’abération nutritionnelle de telle ou telle catégorie de produit (tel ce chocolat blanc aux noisettes plus gras que du foie gras); ou dans la mise en garde contre l’utilisation de “nouvelles substances”, à l’instar du sirop de glucose-fructose en lieu et place du sucre. En la matière, les prises de position des auteurs sont systématiquement étayées et complètes. Et donc salutaires.
O. DAUVERS