Tribunes

Carrefour Discount : vive la destruction de valeur…

LES FAITS. La nouvelle gamme Carrefour Discount est en rayons depuis six semaines. Dans (presque) tous les magasins, le succès commercial est réel.Au point d’inquiéter sur la baisse de rentabilité de l’exploitation France.
C’est un «carton» comme rarement dans l’histoire du commerce.  En rayons depuis environ six semaines, la nouvelle gamme Carrefour Discount a visiblement rencontré son public, rappelant aux plus anciens de Carrefour (il en reste !) la glorieuse époque des produits libres. C’était pourtant il y a plus de trente ans. Mais les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Dès qu’une enseigne pense plus à ses clients (via l’offre) qu’à elle-même (sa rentabilité), le succès est au rendez-vous. Comment s’étonner en effet que les clients préfèrent le jus d’orange Carrefour Discount à 0,88 € la brique d’un litre et demi plutôt que la version Carrefour à 1,19 € ? D’autant qu’à la dégustation, bien malin qui pourrait voir une réelle différence entre les deux produits… Au point qu’on en jurerait presque que le cahier des charges n’a pas été revu.    Et les exemples sont légion… A composition quasi-identique, la boisson gazeuse à l’orange Discount s’affiche à 0,33 €/l vs 0,49 €/l. Les biscuits génoise fourrés orange sont à 0,93 € vs 1,68 €, les petits pois extra-fins à 0,85 € vs 1,05 €, etc.
Jus d'orange Carrefour Discount
Baisse du CA et de la marge à l’UB
Ce faisant, Carrefour s’est engagé dans une formidable opération de destruction de valeur. Au sens premier du terme, c’est incontestable. Le chiffre d’affaires à l’unité de besoin est, selon les cas, de 20 à 25 % inférieur à la MDD classique, pour une marque au nom pas si éloigné.Dans un métier où une part de la réussite repose sur la capacité à diviser les charges par le chiffre d’affaires le plus élevé, c’est nécessairement une contrainte de gestion. Plus problématique encore : la marge de la gamme Carrefour Discount. Evidemment inférieure à la gamme Carrefour. Car si les cahiers des charges ont été revus, les prix l’ont été plus encore. L’effet sur la marge est mécanique. Exemple sur l’huile d’olive vierge extra (voir tableau) : une baisse du PVC de plus de 30 % que ne peut, seul, expliquer un choix de matière première.
D’ailleurs, en magasin, c’est la crainte du moment. Face au succès de Carrefour Discount, comment tenir ses marges ? Naturellement, c’est oublier qu’une part non négligeable du succès réside précisément dans cette nouvelle proposition de valeur. Analystes et observateurs, qui ont longtemps raillé Carrefour pour son embourgeoisement, seraient plus avisés d’encourager le groupe. Car Carrefour a fondamentalement raison de… détruire de la valeur.
En clair, de faire respirer ses gammes en éliminant les poches de survaleur et les sur-marges. Et, chez Carrefour comme ailleurs, elles sont nombreuses. La véritable «feuille de menthe» est-elle indispensable sur le taboulé ou de la simple «menthe» peut-elle faire l’affaire ? Réponse évidente… Carrefour a d’ailleurs tranché. «Un retour en arrière», argumenteront certains.Peut-être. Mais le cimetière du commerce déborde d’enseignes qui, faute d’être revenues sur leur embourgeoisement latent, ont disparu au fil des ans.
Avec «Discount», Carrefour reprend le quart d’heure d’avance qui a longtemps été le sien. Car toutes les enseignes seront tôt ou tard contraintes de réinventer leur MDD. Peut-être pas de manière aussi spectaculaire. Mais avec la même conséquence de gestion : comment préserver sa rentabilité avec moins de CA et de marge par UB ? Ou, autrement dit, comment adapter la structure de coûts à un nouveau mix produits ? Une vraie zone de turbulences que Carrefour aura quitté lorsque ses concurrents y rentreront.
Et si «Discount» devenait le cœur de marché…
Le pari «Discount» ne sera réellement gagnant que si Carrefour se préserve de ses écueils habituels : l’inconstance (les zig-zag stratégiques, hélasfréquents) et une exécution toute relative dont l’enseigne s’est fait une spécialité. Allez donc expliquer à un client la logique d’une huile de tournesol numéro 1 à 1,49 € qui voisinne avec l’huile Carrefour Discount à 1,19 € (voir photo). L’explication est connue et légitime : l’écoulement des stocks. Mais elle illustre l’absence de penser-client dans l’exécution ou les directives d’exécution. Autre chantier : l’implantation de la gamme, aujourd’hui pilotée à vue. Parfois en entrée de rayons ou sur des «joues» , parfois en premier niveau ou encore aux côtés de la MDD classique. Une MDD classique qui pourrait, pourquoi pas, faire les frais du succès de «Discount». Rien d’utopique en effet à imaginer, dans dix ans, que Carrefour Discount soit la nouvelle MDD coeur de marché de l’enseigne !
O. DAUVERS

Baisse du chiffre d’affaires par unité de besoin

Carrefour Discount
Carrefour
Haricots verts boîte 4/4 0,85 €

1,08 €

Spaghetti 500 g 0,39 € 0,78 €
Riz long grain 1 kg 1,19 € 1,45 €
Huile d’olive 1 l 3,39 € 5,05 €
Farine 1 kg 0,39 € 0,63 €

TRANCHES DE VIE COMMERCIALE
1 – Une mise en avant impactante
Carrefour n’a pas lésiné sur les moyens pour «lancer» sa gamme. Autant la campagne de publicité avec ces héros anonymes (Pauline, etc.) ne marquera pas la mémoire collective, autant les premiers déploiements ont été impactants. Les clients l’auront vu. Quant aux non-clients, le temps fera son œuvre.
îlot promotionnel Carrefour Discount
2 – Une chasse à la survaleur

Entre ces deux taboulés, plus de 65 centimes d’écart, quelques grammes, mais surtout une manifeste chasse à la survaleur dans le cahier des charges. Dans la version Discount, une partie de l’huile d’olive a été remplacée par du colza, le poivron (2 %) a disparu et la menthe – toujours présente – n’est plus garantie en «feuilles».
Taboulé Carrefour Discount avant/après
3 – La boulette de comm’
Une vraie boulette de comm’ (ou alors, c’est à ne plus rien y comprendre en marketing). Comment mieux dénigrer la MDD cœur de marché qu’en évoquant lanouvelle gamme ainsi : «Qualité Carrefour à des prix vraiment discount». Une boulette, oui… vraiment !
Carrefour Discount : boulette de communication
4 – Une exécution parfois défaillante
Un brin d’organisation dans l’apparition en rayon n’aurait pas nuit à la bonne compréhension de l’offre. Aucune chance, en l’espèce, d’écouler les bouteilles n°1. Observé tant chez Champion que chez Carrefour. Preuve que l’absence de Penser-client peut se dupliquer…
L'huile n°1 devient Carrefour Discount
Tribune Grande Conso n°67

2 commentaires

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