LES FAITS. Décédé lundi chez lui à l’âge de 85 ans, Edouard Leclerc a été inhumé hier à Landerneau. Il en demeurera sans aucun doute «l’Épicier» pour la postérité.
Avec la disparition d’Edouard Leclerc, une page du grand livre du commerce s’est donc tournée. Une sacrée page ! Pour s’en convaincre : le nombre de réactions publiques ou encore l’impressionnant écho médiatique de sa disparition («ouvrant» les journaux télévisés du soir, une considération rare pour un chef d’entreprise). Souvent, une même image : l’inventeur du discount s’en est allé. Trop simple pour être exact au regard de l’œuvre d’Edouard Leclerc. Et, finalement, pas vraiment fidèle à l’histoire du commerce. Car le premier discounter du commerce «moderne» est sans conteste Boucicaut. C’était en 1852. Presque un siècle avant la première échoppe d’Edouard Leclerc à Landerneau, en 1949 ! Boucicaut a compris le premier toute la puissance du prix bas (entre autres visions appliquées au Bon Marché et qui inspirent toujours le commerce aujourd’hui) : c’est-à-dire la puissance commerciale du prix cassé, principal levier d’attraction d’un point de vente ; mais également sa puissance économique, le discount étant, par les volumes générés, le plus sûr moyen de… s’enrichir. En ce sens, Edouard Leclerc fut le digne héritier de Boucicaut. Un héritage qu’il fit prospérer avec talent parce qu’il comprit – mieux que son glorieux aîné – le rôle social du discount : «Permettre aux ouvriers de s’acheter ce qu’ils avaient produit», disait-il. Et c’est probablement cette vision initiale – martelée urbi et orbi – qui a durablement ancré Leclerc dans l’imaginaire populaire.
Répartir la richesse plutôt que la concentrer
Fils de Boucicaut, Edouard Leclerc est aussi… le père de tous les autres ! D’abord, de nombreux disciples : les premiers compagnons bretons. Circonstances (l’argent manquait) et convictions ont fait de Leclerc un mouvement de commerçants indépendants et non la rente d’une famille. Il fallait l’entendre justifier l’organisation de l’enseigne : mieux valait répartir la richesse (compendre : entre de nombreux adhérents) que de la concentrer sur quelques individus incapables d’en profiter en une seule vie, expliquait-il en substance. De fait, Edouard Leclerc vivait certes bourgeoisement mais loin de la douceur ouatée du tapis de milliards des grandes familles !
A l’actif d’Edouard Leclerc figure aussi une part du succès de ses concurrents. L’anecdote est certes connue mais imaginez tout de même, dans la salle à manger familiale de Landerneau, Edouard Leclerc détailler les factures de ses fournisseurs à Gérard Mulliez pour épauler le jeune entrepreneur nordiste à créer Auchan ! Plus tard, alors que Annecy bruisse de la rumeur de son installation prochaine, Edouard Leclerc poussera de facto Marcel Fournier à accélerer la création de… Carrefour. En 1969, en s’opposant à Jean-Pierre Le Roch (l’un de ses compagnons de route), il favorisera bien involontairement la création d’Intermarché. Le Roch prônait une interdépendance plus marquée entre adhérents. Leclerc, lui, ne jurait que par l’indépendance. Une opposition de pensée, de sémantique et aussi d’égos. Mais le temps passé ensemble (plus de 10 ans) avait suffi à Leclerc pour convaincre Le Roch de la primauté du discount.
Ce que Carrefour doit à Leclerc…
Plus étonnant peut-être, dans les années 1970/80, la première vague d’internationalisation des enseignes françaises doit aussi beaucoup à Edouard Leclerc et… à la politique commerciale de son enseigne. Pour Carrefour, Auchan et consorts, planter son drapeau en Espagne, au Brésil ou en Argentine avait un évident bénéfice collatéral : améliorer la rentabilité d’ensemble des affaires. D’un côté ou de l’autre des Pyrénées, les résultats variaient en effet du simple au double ! Saugrenue penseront certains, mais pourtant véridique : à la différence de Tesco par exemple, confortablement installé sur un marché domestique rémunérateur, Carrefour doit à l’évidence une part de son avance hors-frontière à Edouard Leclerc et sa vigueur commerciale dans l’Hexagone.
Olivier Dauvers
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Excellent article OLIVIER sur Edouard LECLERC.
Ta synthèse de sa vie correspond vraiment à cet état d’esprit de partage des richesses qui l’honorera pour de nombreuses années.
Fils spirituel avec un siècle d’écart de Boucicaut il a réussi à développer le vrai discount.
Etudiant j’avais eu le plaisir d’échanger avec Etienne THIL d’après son livre “Combat pour la Distribution” toutes les premières péripéties du lancement du mouvement E.LECLERC:un summum de courage et de luttes . Souhaitons que de nouveaux Edouard se manifestent pour continuer à mieux satisfaire les besoins des consommateurs.
Yves
Bonne synthèse mais je regrette qu’un hommage tout aussi détaillé n’ait pas été fait lors du dècés, cet été, d’un autre “grand monsieur” du commerce moderne : Jean BAUD le créateur de Franprix et surtout de LEADER PRICE. Comme Ed LECLERC un “véritable épicier” visionaire et humain vis à vis de son personnel
P.M
Salut Olivier,
Sympa comme article, mais qui me laisse sur ma faim… j’aurais bien vu une ou deux vidéo comme http://www.youtube.com/watch?v=kY9fxGsnKW0
Je suis tout à fait d’accord avec Paul! C’est surement du à sa présence très discrète dans les médias comparé à la famille Leclerc.
Intéressant ce parallèle, mais Boucicaut, grâce au soutien de sa femme (née près de Chalon sur Saône, eh oui restons chauvins…!) a quand même tout inventé, les autres ont brodé. Incidemment, l’architecte du Bon Marché était assité d’un ingénieur peu connu… Gustave Eiffel.
Enfin concernant cette affirmation erronée dans l’article que je crois utile de corriger :Edouard Leclerc fut le digne héritier de Boucicaut. Un héritage qu’il fit prospérer avec talent parce qu’il comprit – mieux que son glorieux aîné – le rôle social du discount : «Permettre aux ouvriers de s’acheter ce qu’ils avaient produit», disait-il. En fati deux remarques 1° cette philosophie avait déjà été exposée et appliquée par Henri Ford, partisan de salaires décents dans ses usines, et 2° Marguerite Guérin-Boucicaut lèguera sa fortune colossale à de bonne oeuvres et…. les employés du Bon Marché. Rendons donc à César ce qui est à César (les lectures balzaciens n’y verront aucun clin d’oeil…).