LES FAITS. Un samedi ordinaire, un hyper parmi tant d’autres qui proposent les premières fraises d’Espagne et des clients qui se jettent jusqu’à la dernière barquette disponible…
C’était samedi dans un hyper Auchan. Encore trois heures à accueillir le chaland mais l’affaire du jour n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Des premières fraises d’Espagne à prix compétitif, il ne reste que l’affichage, les palettes en guise de podium et leur jupe noire, comme pour mieux faire le deuil de “l’affaire”. Et, sans doute aussi, le deuil de toutes les illusions de ceux expliquant à qui veut bien les écouter que “le client a changé”. Cette mue – supposée – a même son concept : le consomm’acteur. Plus que jamais attentif aux conditions de production ou encore à l’origine des produits.
Le tort de nombre d’experts : analyser “la” consommation sous l’unique prisme de “leur” consommation
Les études sont nombreuses à décrire avec précision ce nouveau consommateur, davantage citoyen. Récemment encore, l’institut IFOP montrait une forte progression de la conscience patriotique des Français : le pays d’origine est un critère de choix important pour 45 % des consommateurs. Ce n’était que 39 % en 2013 et 36 % en 2011. Autre enseignements sur le néo-consommateur : son appétence pour les prix bas appartiendrait au passé et le discount une valeur… dépassée. “Le monde d’avant”, tranchent même quelques experts dont le seul tort n’est pas de croire sans recul ces études “déclaratives” mais, trop souvent, d’analyser la consommation sous l’unique prisme de leur propre consommation (et de leur scope immédiat). Alors, oui, à Paris, ou plus généralement dans les classes aisées, existent un grand nombre de signes tangibles d’une forme d’alter-consommation. Mais ailleurs… ? A Auch, Amiens ou Rennes ? Et parmi cette moitié de consommateurs dont le revenu mensuel est inférieur à 1 700 € ?
En ce sens, les bousculades pour s’emparer avant d’autres d’un pot de Nutella à 1,41 € ont rappelé la place que prend le prix dans toute décision d’achat : la première. C’est ainsi… Le client clame son amour des produits français (et de saison) mais se rue sur les premières fraises d’Espagne avant même l’arrivée du printemps. Il dit se détacher du prix mais se précipite sur la première bonne affaire venue.
D’ailleurs, le chiffre d’affaires promo n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui. Et l’enseigne la plus compétitive (Leclerc) est désormais celle dont le rendement commercial est le plus élevé. Tout sauf un hasard et le signe qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
90 % d’acheteurs bio mais… 5 % des ventes
Pas question pour autant de nier l’évolution de la consommation. C’est la vitesse qu’il faut relativiser. Un mouvement s’analyse toujours de deux manières : selon sa dynamique ET sa capacité à déplacer le centre de gravité. Le cas du bio est frappant. Tous les Français ou presque (90 %) achètent bio, selon les calculs de l’Agence Bio. Mais, pour l’écrasante majorité, c’est marginal à l’échelle de leurs achats. Pour preuve, le bio ne pèse encore qu’à peine 5 % des ventes. Et même si la dynamique est avérée (+ 15 à + 20 % par an), le barycentre du marché n’est pas encore menacé. Même constat pour le lait équitable. Les briques C’est qui le Patron ?! ou Faire France font un “carton”. Mais que pèsent-elles sur le marché ? Encore si peu… Il en va de même pour toutes les promesses sociétales : origine, bien-être animal, empreinte carbone ou phyto-sanitaire, etc. Elles rencontrent certes “leur” public (et en ce sens elles sont indispensables à l’évolution des marchés) mais pas encore “le” public. Car, si tel était le cas, dans cet hyper, l’étal de fraises espagnoles aurait au moins passé la journée.
Olivier Dauvers
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Pour avoir fait un bon nombre d études shoppers je suis tout à fait d accord avec votre article… les changements de consommation ne se voient que sur 5 à 10 ans en général…
Ouais et y a 5 ou 10 ans on ne disait pas “études shoppers” d’aileurs…
Pour savoir si une tendance se confirme, il ne faut pas écouter le shopper, il faut regarder ce qu’il fait! Et c’est sans équivoque : il est plein de bonnes intentions mais dans les 2 derniers cm, c’est le porte monnaie qui gagne…. & l’attrait de la promo !
Très réaliste comme analyse. Ce n’est surement pas demain qu’il n’y aura plus de voitures sur les parkings des hypers du Nord ou du Sud Est mais il y a des tendances lourdes comme le développement du Bio, Leclerc ouvre des magasins bio, la proximité, les concepts restauration en surface de vente, la préférence local (Lidl communique fortement sur les produits français)… Il y a toujours des voitures sur les parkings et cela n’empêche pas Amazon et la vente en ligne de se développer. et cela sans lien avec l’humeur du cadre parisien.
Très bonne analyse ,juste et percutante tant elle est vrai..
J’adhère à 100% à votre avis, il y a une distorsion importante entre l’enquête auprès des clients sur leur mode de consommation et l’observation que l’on en fait. Pour l’immense majorité des clients, il sont contre les produits d’importation chinois qu’ils jugent dangereux, de mauvaise qualité et qui en plus ne font pas rêver. Oui mais… Ils sont moins chers! Alors les français les consomment à tour de bras même si la conscience citoyenne tend à se réveiller. Cela ne traduit qu’une tendance vers le “moins chinois” ou “plus français”. J’ai pris l’exemple des produits chinois mais ils sont applicables bien évidemment aux produits alimentaires espagnols ou autres…
Votre article me rappelle l’une de vos excellentes anciennes publications sur la différence entre le pouvoir d’achat et le vouloir d’achat, la différence entre l’action et l’intention.
Il est vrai que trop souvent on dit que le consommateur a changé, quand seule une minorité l’a fait. Mais c’est bien cette minorité qui fait que l’on passe de + 1 à – 1 %, et il est indispensable de prendre en compte cette population car elle a un impact sur le marché et parce qu’elle représente l’avant-garde. Donc, mon cher Olivier, oui, il nous arrive de généraliser trop vite, mais, non, nous ne regardons pas la consommation sous le seul angle de notre comportement personnel.
Un tournant à prendre dans tous les cas.
La question que beaucoup se pose, comment et quand appuyer sur l’accelerateur pour être ni en retard ni en avance…
Parier sur le futur et l’inclure dans sa stratégie moyen/long terme?
Ou attendre que d’autres essuient les plâtres et garder une image de suiveur?
Pour ces questions, le commerce vit une période de ventre creux et les ruptures sont de moins en moins marquantes.
*Posent. 🙂
Peu importe en fait, que le consommateur supposé “vrai” diffère quelque peu du consommateur théorique, peu importe que la consommation parisienne soit différente de la consommation provinciale… Peu importe même de l’ordre hiérarchique de l’offre vs la demande… Est il en effet si important que cela de savoir si c’est l’offre qui stimule la demande ou le contraire ? Toujours est il que l’important, le fondamental, l’essentiel, c’est que le système s’inscrive dans sa logique implacable d ‘hyper-consommation destinée à faire vivre quelques années encore le paradigme néo-libéral symbolisé par son avatar extrême : l’hypermarché. Le divin marché et si divin que finalement peu importe la manière dont il fonctionne, comme dans un autre temps, quand il y avait Dieu, avant que Nietzsche ne le fasse mourir, peu importait comment Moïse traversait la mer Rouge du moment que la pompe à mythes était en marche et renflouait les caisses des puissants. Autres époque, même logiques. Different day, same shit. Pendant que le psycho-pouvoir se gave de l’exploitation des masses, quelques experts du retail tentent d’analyser les choses pour mieux entretenir l’illusion d’un possible débat, convoquant tour à tour le bio, l’origine des produits ou encore, que sais-je, quelques mythes manipulatoires bien trouvés… Ces experts sont complices, bien entendu, et non critiques. Ce sont des chiens de garde. Pendant ce temps et fort de cette précieuse aide, et ceci depuis Trujillo, au moins, la grande distribution dicte sa loi et institue toujours plus profondément la logique capitaliste…
Tout à fait d’accord, les commentateurs des médias projettent leur propre consommation, de type “bobo bio”, pour se persuader qu’ils font partie d’une classe moyenne majoritaire, alors qu’ils en sont éloignés.
Les organes bio confondent l’achat d’une bouteille de lait bio de temps en temps, avec l’achat dit militant ! même si la recherche de “vertu” est une vraie tendance de fond à moyen et long terme, elle ne fait pas bon ménage avec un budget alimentaire faible. Le consommateur déteste qu’on lui fasse la leçon…et va continuer à acheter ce qui lui donne du plaisir à pas trop cher ou les élaborés qui lui facilitent la vie !
J’ai vécu cette expérience en direct. Une cliente avec son fils, passent au rayon FL et le petit demande des fraises. La mère dit : oh non, elles sont Espagnoles. On va regarder les Françaises. Et quand elle a vu le prix des Françaises, elle dit à son fils : on va prendre les autres. 🙂
Ce qui est triste et que je constate tous les jours c’est que des gens qui disent vouloir de la qualité, sont en permanence à la recherche du prix. Et c’est cela qui est grave. Le pourquoi. Les gens sont tellement abreuvé d’un sentiment que tout a un prix qui peut être plus bas, à cause des promotions, qu’ils ne comprennent pas que meilleur a un prix. Et surtout, qu’à faire ainsi, ils nuiront à la qualité du produit, comme cela a été le cas ces dernières années avec les produits conventionnels et comme on va le voir avec le bio (de grande surface entre autre), d’ici peu.
Et ça, il va falloir des années pour que le client cesse de penser prix…quand il cherchera qualité.
Très bonne analyse. Merci ! Quand pourra-t-on partager ce type d’article sur linkeln ?