Casino : Blandinières, Kretinsky (ou un autre encore), qui est le mieux placé pour rafler la mise ?

La bataille est lancée : qui pour sauver Casino ? Car, n’en déplaise au story-telling en cours chez Casino depuis des années, le sujet est bien désormais le sauvetage du groupe. Les deux initiatives commerciales de l’an dernier (abandon de Géant pour Casino Hyper Frais et relèvement des prix) ont été des échecs. Le comportement des clients depuis quelques mois qui ont fait plonger les volumes (en général et chez Casino de manière que personne n’imagine…) en rajoute encore et impose ce qui est donc désormais un… “sauvetage”. Analyse de la situation et des forces en présence en 4 questions…

1/ Quelles sont les offres sur la table ?

Depuis plusieurs semaines, il n’y en avait qu’une : celle de Teract (le groupe coopératif agricole InVivo et le trio Zouari/Niel/Pigasse). Schématiquement, il s’agit de créer deux structures : l’une pour l’appro agricole (et la possibilité de corners en magasin) pilotée par Teract. L’autre pour l’exploitation des magasins Casino, contrôlée par Casino mais avec Teract en actionnaire minoritaire de poids, en échange de la reprise d’une partie de la dette et de l’apport d’argent frais pour réinvestir dans les magasins.

Depuis sa présentation début mars, j’étais moins enthousiaste que la moyenne sur ce projet. Non pas sur son principe (il est évidemment séduisant d’aligner les différents maillons de la filière alimentaire) mais sur la réalité du potentiel qui suppose quand même que les producteurs InVivo puissent satisfaire l’essentiel des besoins en frais traditionnel d’un hyper. J’ai par exemple interrogé InVivo sur le scope de leur production de fruits et légumes (précisément pour mesurer l’intérêt qu’il y a de prendre en charge l’approvisionnement agricole de Casino), j’attends toujours la réponse 😉 Sans doute parce qu’elle est moins évidente que l’histoire que l’on veut bien raconter.

Seconde faiblesse du projet : de nombreux actifs de Casino sont en piteux état (pour ça, il faut sillonner la France commerciale et je revendique d’avoir le point de vue le plus exhaustif sur le sujet). Et les sommes nécessaires pour les remettre à niveau seraient pharaoniques.

Depuis hier et l’arrivée d’Intermarché dans le projet, j’ai revu ma position. Les Mousquetaires vont alléger Casino des magasins sans avenir en les reprenant et, surtout, en les confiant à des indépendants. Plus d’une centaine de points de vente sont déjà identifiés (pour plus d’un milliard de CA). Autant qui ne seront plus à rénover et qui permettront de concentrer les moyens sur le réseau restant dans le périmètre Casino. Exit par exemple la Bretagne (loin des bases Casino) et les supermarchés en zones rurales ou semi-rurales où l’attractivité de l’enseigne est faible. Un toilettage du parc bienvenu ! Intermarché apportera aussi de l’argent frais au projet Teract et accepte à l’avance toutes les synergies possibles avec InVivo/Teract : via l’outil industriel Agromousquetaires et les MDD.

Résumé : l’arrivée d’Intermarché donne du crédit et du corps et mérite le qualificatif “d’industriel”.

Une seconde offre a été aussi rendue publique hier : le Tchèque Daniel Kretinsky, déjà présent au capital de Casino à hauteur de 10 %, propose une augmentation de capital de plus d’un milliard d’euros (dont 750 M€ apportés par ses propres structures). Comme Jean-Charles Naouri ne pourrait pas suivre l’augmentation de capital proposée par Kretinsky (qui était son allié à l’origine et qui devient de fait son bourreau, j’y reviens demain…), le Tchèque prendrait le contrôle de Casino.

En théorie, les deux offres ne s’opposent pas. En pratique, il est difficile de l’imaginer. D’abord parce que Teract bénéficie de 45 jours d’exclusivité pour trouver un accord avec Casino. Ensuite, parce que si Kretinsky voulait s’allier avec Teract dans le projet “industriel”, il le pouvait. Dit autrement : Daniel Kretinsky (et c’est son droit !) se place dans un logique financière : “ramasser” Casino à vil prix (et en nettoyant la dette puisque c’est l’une des conditions posées).

2/ Vers qui Jean-Charles Naouri va-t-il se tourner ?

Pour l’avoir rencontré en fin d’année dernière, je peux témoigner que Jean-Charles Naouri n’avait pas du tout abdiqué. En dépit parfois des évidences, il tentait toujours de convaincre qu’une voie était possible. “Un trou de souris” a écrit un confrère qui a probablement eu le même entretien “one-to-one” 😉

En début d’année, le simple fait d’accepter de poser les bases d’un projet avec Teract revenait à baisser les armes. A chercher la porte de sortie la plus honorable possible. Celle qui permet la narration (la filière alimentaire, la souveraineté, etc.) et qui le laisse encore un à deux ans aux commandes. Moez Zouari, qui connaître “JCN” par cœur, a bien saisi depuis l’origine toute la dimension psychologique qu’il fallait mettre dans le dossier. Il en a d’ailleurs la charge. Et Thierry Cotillard, patron des Mousquetaires, connaît aussi le personnage, lequel le porte en bonne estime (ce qui met aussi de l’huile dans la discussion).

Voilà pourquoi il ne fait aucun doute que Jean-Charles Naouri penchera le moment venu pour la solution Teract. Problème : en proposant une augmentation de capital aussi massive, Kretinsky s’adresse en réalité aux créanciers de Casino qui, l’air de rien, auront au moins autant leur mot à dire que JCN dans le choix.

3/ Un autre projet peut-il sortir ?

Comme c’est le dernier round pour l’avenir de Casino, ceux qui ont un intérêt pour le groupe (soit entièrement mais à mon avis personne, soit par morceaux) doivent sortir du bois. Problème : une nouvelle offre doit être politiquement et socialement acceptable. Ça ne serait pas le cas si elle venait de Carrefour ou d’Auchan car la casse sociale induite serait massive. En revanche, rien n’interdit à l’un ou l’autre de racheter un paquet d’actions en bourse (Casino ne vaut que 700 M€) pour être “à la table” des discussions et, le moment venu, récupérer un lot de consolation (genre Monoprix).

4/ Le politique peut-il / va-t-il s’en mêler ?

Lors de l’offre du Canadien Couche-Tard sur Carrefour, Bruno Le Maire avait opposé son véto à l’opération, au nom des intérêts stratégiques français. Kretinsky (Européen) n’est pas Couche-Tard mais le volet agricole du projet Teract rend le dossier très politique. Et si Thierry Blandinières sait activer les bons leviers, il doit récupérer le soutien politique. Lequel, en France, pèse lourd. Au moins aussi lourd que les créanciers. Raison pour laquelle, à date, je mets clairement une pièce sur le projet Teract (parce qu’il faut savoir se mouiller 😉 ).