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Relations commerciales : Michel Biero (Lidl) et l’ancien ministre Renaud Dutreil défendent leur proposition de loi

Dans une tribune au Journal du Dimanche il y a 15 jours, Michel Biero, patron de Lidl et l’ancien ministre du commerce Renaud Dutreil ont livré leurs idées pour la réforme en cours d’Égalim (et que j’avais déjà publiées ici). 8 idées sur lesquels je les ai challengés sous forme de contrepoint. Leurs réponses…

💡Idée 1 : Assurer au producteur agricole un revenu sanctuarisant le prix de la matière première agricole, tenant compte des coûts de production, de la charge de la dette, des investissements de modernisation durable de l’exploitation et du « nécessaire pour vivre » de l’agriculteur. Le premier acheteur du producteur agricole, accompagné du tiers de confiance, doit être le certificateur de ce revenu.

Contrepoint : L’idée est louable et généreuse ! Mais comment définir un « nécessaire pour vivre » et surtout à quel niveau le fixer ? 

Michel Biero et Renaud Dutreil : Que les agriculteurs vivent de leur métier, c’est juste la reconnaissance qu’ils sont le maillon indispensable à toute souveraineté alimentaire. Et pour fixer le « nécessaire à vivre », la cible c’est un double Smic. Un niveau-cible déjà évoqué dans de nombreux travaux, notamment au sein des interprofessions.

💡Idée 2 : Accorder aux agriculteurs, comme le font nos voisins suisses, une contrepartie pour les trois missions d’intérêt général qu’il faut leur confier et contractualiser par spécificité de territoire sur plusieurs années : 1°) l’entretien des paysages et de la biodiversité 2°) la décarbonation de la production agricole et 3°) la pérennité en France d’un art de vivre et de se bien nourrir.

Contrepoint : Comment calibrer ces contreparties et éviter « l’usine à gaz » ?

Michel Biero et Renaud Dutreil : C’est forcément une approche territoriale. Car ces trois missions d’intérêt général n’ont pas le même intérêt sur l’ensemble du territoire. Sans doute que la bonne maille serait le département. Et le préfet l’autorité idoine pour hiérarchiser les missions et établir à la fois les objectifs et encadrer la contractualisation. Le tout avec une contrepartie suffisamment incitative.

💡Idée 3 : Améliorer la transparence sur la formation des prix et la répartition de la valeur, en s’inspirant de l’esprit des contrats tripartites. Dans le système actuel des contrats, le producteur agricole est la partie qui n’a pas son mot à dire. Il faut favoriser par la loi la négociation tripartite transparente, en appliquant un principe simple et basique de construction du prix en marche avant.

Contrepoint : Comment fixer un « juste prix de départ » alors que l’agriculture française souffre d’une énorme hétérogénéité dans les coûts de production au sein d’une même filière ?

Michel Biero et Renaud Dutreil : Oui, les écarts de coûts de production sont importants au sein d’une même filière. Mais instaurer une contractualisation de type tripartite, c’est d’abord installer une véritable transparence entre tous les maillons. Aujourd’hui, ça n’est le cas que de manière exceptionnelle. Sur le lait, et même en additionnant les volumes de lait « engagé », ça ne représente encore que moins de 15 %. Une idée pourrait être d’expérimenter la démarche sur 50 % des volumes de tous les acteurs.

💡Idée 4 : Définir comme base du tarif du fournisseur le « triple net », égal à la somme des coûts de production, la négociation allant « vers l’avant », avec les garde-fous qui conviennent : sanction des prix abusivement bas et des pratiques discriminatoires. Mettre un terme à la « descente tarifaire », habillage trompeur et technocratique qui pénalise in fine le pouvoir d’achat du consommateur.

Contrepoint : En quoi l’habillage des prix et ensuite la descente tarifaire pénalise le pouvoir d’achat des consommateurs ? 

Michel Biero et Renaud Dutreil : Parce qu’au final nos prix sont plus élevés qu’ailleurs ! Pourquoi d’après vous les Alsaciens font leurs courses en Allemagne ? Au-delà, il faut recentrer la négociation sur l’essentiel : le produit. Ça sera un véritable choc de simplification ! Charge ensuite à chaque distributeur de mener son propre plan d’action commerciale. La concurrence est suffisamment forte en France, le consommateur en profitera !

💡Idée 5 : Supprimer le SRP + 10 % qui n’est plus nécessaire compte tenu de la protection du revenu agricole (cf idée n°1). 

Contrepoint : Comment un patron d’enseigne peut-il militer contre un mécanisme qui lui garantit une marge ?  

Michel Biero : Ce mécanisme n’a pas été pensé pour protéger le patron d’enseigne, sinon pour sécuriser une manne financière permettant le fameux ruissellement au bénéfice des agriculteurs. Or qui a vraiment vu ce ruissellement ? On est ici dans l’hypocrisie totale ! Sans compter que le principe même d’un ruissellement devient inutile dès lors que le revenu agricole est réellement sanctuarisé. 

💡Idée 6 : Autoriser les négociations entre fournisseurs et distributeurs toute l’année, comme partout en Europe, afin de revenir sur les cycles évidents de la négociation et d’intégrer rapidement, à la hausse comme à la baisse, les fluctuations des tarifs des matières premières. La guerre en Ukraine, qui a éclaté quelques jours avant la clôture officielle des négociations, a montré combien la rigidité calendaire de négociation était absurde. Pour les PME, maintien de l’obligation de négociation d’un contrat annuel, incluant l’ensemble des conditions de la négociation commerciale.

Contrepoint : Autoriser les négociations toute l’année, c’est instaurer une tension permanente entre industriels et distributeurs, alors que les périmétrer sur quelques mois permet de marquer une « fin de négo ». Comment les hommes/femmes des deux parties pourraient-ils supporter un tel niveau de tension 12 mois sur 12 ?

Michel Biero et Renaud Dutreil : L’idée n’est pas de négocier 12 mois sur 12 mais de pouvoir le faire lorsque nécessaire. Ça permettrait au contraire de sortir de ce théâtre annuel. C’est déjà le cas pour les MDD. Pourquoi ça ne pourrait pas l’être aussi pour les marques ? 

💡Idée 7 : Protéger la valeur des marques, qu’elles soient nationales, locales ou internationales, en interdisant les pratiques commerciales destructrices de « brand value ».

Contrepoint : En quoi les pratiques commerciales sont-elles destructrices de valeur pour les marques, pratiques dont elles sont souvent à l’origine dans la « négo » ?

Michel Biero et Renaud Dutreil : L’idée n’est pas d’éliminer l’activation commerciale. Mais d’éviter la surenchère permanente sur le sujet en recentrant la négo sur le produit et le tarif. Au final, les marques sont dans un mouvement perpétuel de high-low, forcément néfaste pour leur valeur. Dit autrement, la question à laquelle il est désormais impossible de répondre est : « quel est le juste prix » ?

💡Idée 8 : Soumettre au Parlement et avant le début des négociations commerciales 2025 une loi globale, élaborée dans la concertation, avec obligation d’évaluation économique et sociale à la fin de la législature.

Contrepoint : Les bouleversements politiques actuels ne rendent-ils pas très hypothétique un toilettage des lois LME/Égalim ? 

Michel Biero et Renaud Dutreil : A court terme, les travaux qui avaient été entamés depuis quelques semaines sont certes interrompus mais les sujets demeurent : le sort des agriculteurs, la souveraineté alimentaire, le pouvoir d’achat des consommateurs. Donc les raisons de toiletter les lois LME/Égalim demeurent. Avec un mot d’ordre : simplifier !

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