Numéro 15 – Septembre 2005
ENTRÉE EN APPLICATION DU TEXTE JACOB/DUTREIL
La loi, le commerce et la morale
Depuis le 2 août dernier, la loi Jacob/Dutreil complète la loi Galland. Parmi les avancées : la révision du SRP, premier pas vers une baisse du prix des marques ; et l’encadrement (la moralisation ?) de la coopération commerciale. La vraie “coop” n’en sera que plus légitime.
En revanche, ceux qui croyaient les ministres dans leur vœu de rééquilibrer les relations commerciales seront bien déçus.
Deux ans et deux ministres auront donc été nécessaires pour toiletter la loi Galland. Oubliés les raccommodages de facade (accord Ania-FCD de juillet 2002, Circulaire Dutreil de mai 2003 et relevés d’engagements Sarkozy de juin 2004), cette fois-ci le texte dit “Jacob-Dutreil” a donc force de loi et va s’imposer (promulguée le 2 août, une partie de la réforme – le calcul du SRP et la basculement des marges arrières – ne s’appliquera que le 1er janvier).
La redéfinition du SRP, avec l’introduction progressive d’une partie des marges arrières, est paradoxalement une excellente nouvelle pour les commerçants. A court terme, c’est vrai, certaines références très bataillées vont perdre de leur rentabilité. Et alors ? N’est-ce pas là l’essence même du commerce que de porter le fer sur les produits les plus demandés par le consommateur ? Inquiètes de l’injonction de Renaud Dutreil de baisser les prix de 5 %, les enseignes mettent déjà en avant leur faible rentabilité nette (de 2 à 3 % selon les cas) pour inviter les marques à participer à l’effort. C’est oublier un peu vite l’extraodinaire enrichissement des “années Galland”. Si les rentabilités nettes des enseignes ont plus faiblement progressé que les marges arrières, c’est parce que les coûts d’exploitation ont explosé. La faute, pour une part non négligeable, à l’embourgeoisement du commerce contemporain. En ouvrant progressivement le jeu de la concurrence sur les prix, la loi Jacob-Dutreil pénalise donc peut-être les enseignes à court terme. Mais elle leur rend un inestimable service, les obligeant à revenir au modèle économique historique du commerce : faibles coûts et faibles marges. Ainsi “allégées”, les enseignes courront plus rapidement après le chiffre d’affaires.
NÉCESSAIRE MORALISATION
Au-delà de la redéfinition du SRP (et de la volonté politique de voir le panier de la ménagère baisser), la loi Jacob-Dutreil s’attaque aussi aux relations commerciales. Avec un double objectif : moraliser et rééquilibrer les relations. A l’évidence, et même si les enseignes poussent des cris d’orfraie, la moralisation est une nécessité. Plus particulièrement en matière de coopération commerciale. Rien d’anormal donc que les enseignes soient désormais dans l’obligation d’apporter la preuve des services rendus aux marques. Après tout, elles les facturent. Pourquoi, dès lors, s’insurger de devoir les justifier à l’administration en cas de contrôle ? C’est tout simplement sain. Donc indiscutable. Si, au passage, certains services fictifs disparaissent du catalogue de la coopération commerciale, tant mieux ! La vraie “coop” n’en sera que renforcée. En parallèle, la loi Jacob-Dutreil est plus claire sur le périmètre de cette coopération commerciale. Le service rendu par l’enseigne doit être lié à la vente. C’est la moindre des choses… Mais, à en juger par certaines factures de coopération commerciale qu’aiment à commenter quelques inspecteurs de la DGCCRF, ce n’est pas toujours le cas. Donc, là aussi, un soupçon de “morale” dans la définition de la coopération ne sera pas un luxe…
PAS DE “RÉÉQUILIBRAGE”
Dans la même veine, comment décemment s’insurger que les déductions d’office – que pratiquent certains – soient montrées du doigt et clairement sanctionnables ? Comme si les consommateurs, unilatéralement, décidaient de régler un article sur deux… On imagine le spectacle en caisse.
Pour donner corps à cette moralisation attendue, la loi Jacob-Dutreil ouvre la procédure de transaction. Là encore, c’est plutôt une bonne disposition pour couper court à des dérives dont les coupables savent qu’elles seront jugées 2 à 3 ans plus tard. Et encore si le procureur s’intéresse vraiment à l’affaire…
Si la “moralisation” semble un objectif accessible, le rééquilibrage des relations commerciales sera, à l’inverse, un vœu pieu. Comment la loi pourrait-elle aller contre les conséquences de notre économie surcapacitaire qui, par définition, accorde le pouvoir à l’acheteur ? Face à Carrefour, Leclerc ou Casino, les PME demeureront en position de faiblesse. Un seul exemple : même si la loi consacre les CGV comme “socle de la négociation commerciale” qui pourra réellement refuser de signer les CGA des enseignes ? Une nouvelle fois en la matière, la loi n’atteindra pas son objectif. Et dire que de certains patrons de PME pensaient encore sérieusement qu’il suffisait d’une loi pour améliorer leur sort…
O. DAUVERS